Prince Charmant?

Peny lança un nouveau couteau en direction de la cible, soupira.

Il n'y avait jamais grand monde dans cette salle. La caste était sûrement encore trop petite pour qu'il y ai beaucoup de monde à 5h du matin, mais Peny appréciait ambiance. Seule le bruit sec des couteaux se plantant dans la cible (Ou leur tintement, quand c'était le mur) venait troubler le silence.

Lancer des couteaux était une espèce de relaxation pour la rouquine, malgré le fait qu'elle visait très mal. On ne peut que s'améliorer, non?

La jeune fille soupira une énième fois. Malgré toutes ses recherches, aucun garçon ne c'était qualifié. Seul deux hommes avaient réussi à entrer dans le top dix. Les huit autres n'existaient pas.

Peny s'accota à un mur et se laissa glisser. Une fois assise par terre, elle ferma les yeux. Une petite sieste ne pouvait pas faire de mal...

Roderick cogna deux coups avant d'entrer. Il découvrit avec de grands yeux l'intérieur de la salle d'entraînement des chevaliers et des écuyers. C'était la première fois qu'il y venait, et il ne put s'empêcher de sentir monter la fierté d'être un chevalier lorsqu'il passa la porte.

Le jeune homme trotta un peu, explorant les lieux, mais ne vit personne. Seul l'écho de ses pas et le frottement de sa hache contre le sol troublaient le silence. Peut-être qu'il aurait pu éviter d'émousser la lame ou d'abimer le plancher en levant un peu son arme, mais cette idée ne lui traversa aucunement l'esprit, trop occupé qu'il était à observer la pièce.

Il n'était que 7 heures de l'avant-midi, tout le monde devait être en train de dormir chez eux. Ou du moins, c'est ce qu'il pensait lorsque, longeant le mur en contemplant l'intéressant arrangement de poutres au plafond, il trébucha sur quelque chose avant de s'affaler de tout son long. Quelque chose, ou plutôt, quelqu'un.

Peny se réveilla en sursaut et ramena une jambe douloureuse vers elle. Qui était l'imbécile qui...

Son regard se posa sur le corps étendu par terre. Encore endormie, la jeune fille se frotta la jambe et leva de petits yeux vers l'horloge clouée à un mur proche.

-Mmmgnnnn? ... WAH! Oh non, non, non, non! s'écria la rouquine, Pas ça!

Deux heures s'étaient déjà écoulées? Impossibles! Peny se leva en hâte et fit quelques pas rapide vers l'une des cibles, histoire de récupérer ses précieux couteaux. Elle n'oublia qu'un détail: ce corps par terre. Elle trébucha et tomba tête première vers le sol.

Roderick leva son bras et se flatta le front là où il s'était cogné en tombant, grognant un léger «Aïe». Sa pauvre tête n'avait pas apprécié ce choc soudain et imprévu.

Un peu sonné, le garde commença lentement à se relever, et n'eût à peine le temps d'esquisser un mouvement qu'un poids s'écrasa brusquement sur son dos. Il figea un moment, tentant de figurer quel pouvait être ce poids supplémentaire, puis se décida à tourner la tête, pour avoir une vue parfaite sur... Un derrière. Avec des hanches comme ça, c'était assurément celui d'une fille. Mais une question demeurait: Pourquoi était-il là? Pourquoi quelqu'un se serait-il étendu sur son dos?

Le jeune homme s'apprêtait à poser cette question qui le tenaillait, mais, ne voulant pas être impoli, opta plutôt pour une salutation. Il appuya son coude au sol, et son menton sur son poing avant de lancer, maladroitement:

-Euh... Bonjour?

Peny jura une fois... Puis une seconde... Puis une troisième fois. Ce n'était pas une fille matinale... Elle fit la moue et grommela, jusqu'à ce qu'elle entende une salutation maladroite de la part de son... matelas?
Un peu troublée, la rouquine releva la tête, son chapeau légèrement de travers et balbutia une réponse:

-S-Salut...

C'est seulement à ce moment qu'elle reconnut l'homme.
C'était bien l'homme du bal, dans toute sa splendeur et sa naïveté. Quelques cheveux roux tombaient sur son visage, balayant son nez. Il était... époustouflant... À moins que Peny ne sois juste somnolente. Malheureusement, son nom lui échappait.
C'est alors qu'elle lança une question d'une intelligence... Phénoménale...

-Tu fais quoi?

Lorsque la jeune fille leva la tête, Roderick (qui ne regardait plus le bas de son dos, mais bien sa tête, de l'autre côté) ne reconnu pas tout de suite son visage, mais il savait bien qu'elle ne lui était pas inconnue. Où l'avait-il déjà vue? Alors qu'il repassait dans sa tête les derniers jours, à la recherche d'un souvenir de la rouquine, elle lui posa sa question. Surpris de sa soudaineté, Roderick réfléchit deux secondes, avant de répondre.

-Eh bien je...

Ah! Mais oui! C’était la fille du bal! Comment s’appelait-elle déjà? Jenny? Non… Nini?

-Je pense que j’ai trébuché sur toi, finit-il simplement, son regard reflétant l’innocence même d’un enfant.

Puis, d’un coup, son regard s’illumina. Peny! C’était ça, son nom! Un sourire niais remplaça l’expression candide de plus tôt.

Peny bailla pour camoufler sa question stupide, mais elle ne put s'empêcher de sourire quand la réponse lui parvint. Il était si simple! Si Naïf! Le sourire que Roderick lui fit peu après lui fait l'effet d'une bombe. First place. C'était sûr. Aucun n'était arrivé jusque-là. Pour l'instant, il battait tous les records passés. Il ne manquait plus que quelques détails à régler.

-T'as un cheval blanc? Lança calmement la jeune fille.

En attendant la réponse, la rouquine bailla à nouveau et se frotta les yeux d'un air endormit.

La question prit le pauvre garde à court. Un cheval blanc? Pourquoi aurait-il un cheval blanc? La perplexité sur son visage sautait aux yeux, et un moment de silence d'au moins une dizaine de secondes suivit. Il ouvrit la bouche, la referma en fronçant les sourcils, puis l'ouvrit une fois encore avant de bafouiller:

-Non... P-Pas vraiment...

Pourquoi un cheval? Et surtout, pourquoi blanc?

Peny eue un sourire vainqueur. "Pas vraiment" n'était pas "non" n'est-ce pas? Son sourire avait un brin démoniaque. Plus qu'une question et elle agirait à peu près normalement. La rouquine secoua la tête, dans une tentative vouée à l'échec de se réveiller une bonne fois pour toute. Son précieux chapeau glissa... C'était à peine, mais une mèche réussit à s'échapper. En moins de temps qu'il en faut pour le dire, le chapeau était en place. Par contre, dans l'action, Peny avait "légèrement" frappé Roderick... "Légèrement"...

- Oups

Ce fut le seul mot qui lui vint à l'idée...

Roderick resta choqué un moment. Aïe! C'est qu'il était pointu, son coude! Il n’avait rien vu arriver, et ce coup l’avait pris par surprise. Le garde baissa la tête, appuyant presque son front contre le sol, et frotta l'endroit qui avait été «légèrement» frappé, soit sa pauvre tête.

Nettement confus, le jeune homme envoya un regard déconcerté (bouche béante, sourcils excessivement arqués) à la jeune rouquine confortablement installée sur son dos. D’abord elle lui parlait de cheval blanc et de je-ne-sais-quoi, puis elle lui tapait dessus sans apparente raison. Que lui voulait-elle donc?

- Euh... désolé...

Flûte... Pour une seconde impression ratée, elle était ratée. Peny se tassa doucement du dos du jeune homme, se leva et baissa la tête, honteuse. Voilà pourquoi, au contraire de la majorité des filles de son âge (qu'elle connaissait), elle n'avait toujours pas de petit-ami.

En surface, Peny semblait juste un peu gaffeuse, assez solide, trop extravertie, maladivement coureuse de garçon... Mais c'était plus complexe quand on la connaissait bien.

Le vieux stéréotype de la fille mal dans sa peau. Surtout qu'elle ne s'était pas vraiment fait d'amis depuis son entrée dans la caste.

- désolé...

Murmura-t-elle à nouveau, se dandinant d'un pied à l'autre.

Ah, c'était donc un accident. Ça expliquait tout...

Lorsque Peny se releva, Roderick en profita pour se lever aussi avant d'épousseter ses vêtements. Plus que satisfait des excuses de la jeune rouquine, il eut un autre de ses sourires naïfs, totalement inconscient du malaise de l’écuyère, et passa distraitement sa main dans ses cheveux.

-C’est bon, c’est bon! Ça n’a même pas fait mal, haha…

Il retournerait sûrement à la maison avec deux jolis bleus sur la tête (avec celui de la chute de plus tôt), mais son bon sens l'obligea bien à garder ce détail pour lui même.

Peny continua de se dandiner jusqu'à ce quelle entende une "réponse". Le sourire du jeune homme était si simplement joyeux que Peny crue qu'il était faux.
«Oh mon dieu... Il doit être fâché contre moi!» pensa-t-elle, horrifiée «Je l'ai quand-même écrasé, puis frappé... Je suis foutue! Il doit faire une tête de plus que moi au moins! Et côté force? Je vais me faire tuer!»

La jeune fille ferma les yeux, attendant le choc d'un coup de poing ou de pied avec sa tête. Son corps entier se tendit comme un arc, près pour la douleur. C'était assez facile à voir dans son attitude. Elle avait peur...

Pourquoi Alex n'était jamais là quand on en avait besoin?!

Lorsque la jeune rouquine se tendit, Roderick perdit ce sourire benêt qui l’accompagnait presque constamment. Ce changement d’expression avait été si brusque chez sa collègue qu’une inquiétude grandissante occupa rapidement toutes ses pensées. S’était-elle fait mal? Avait-elle un malaise soudain?

-Dis… Est-ce que ça va? Questionna-t-il, anxieux, tout en posant une main maladroite (Qui semblait disproportionnée par rapport à la finesse de la jeune fille) sur l’épaule de Peny. Il voulait être certain d’être prêt si jamais elle tombait.

La jeune fille sursauta si fort qu'elle en perdit presque l'équilibre. Par chance, la main du jeune homme était là.

-Ne me frappez pas! Je m'excuse! s'écria la jeune fille en se protégeant la tête de ses bras.

-Hein?!

Lâchant l'épaule de la jeune fille, Roderick se retourna brusquement, prêt à parer un coup venant... du mur? Le garde fixa les pierres qui le formaient durant quelques secondes. Il n'y avait personne derrière lui, ni même personne d’autre dans la pièce.

Alors qu’il se retournait vers Peny, le jeune homme comprit soudainement la raison de la peur de la rouquine. Il leva un doigt pour se pointer lui-même.

-Moi?

Peny resta tendue pendant quelques secondes après avoir entendu la question de Roderick. Elle finit tout de même à ouvrir un œil, lentement.
Le visage incrédule de Roderick la prit par surprise et elle ne pensa même pas avant de répondre:

-Euh... oui.

Elle se détendit à peine en attendant une réaction du jeune homme.

L'expression du garde changea une fois de plus, affichant un air presque triste. Pourquoi est-ce qu'il la frapperait? C'était une fille, et elle était gentille.

Retournant la question dans sa tête, le jeune homme en vint à la conclusion qu'il devait avoir dit quelque chose d'offensant ou de menaçant sans s'en rendre compte. Il baissa la tête, gêné, tentant sans succès de se souvenir de ce qu'il avait dit. Bah, de toute façon, le mieux serait de s'excuser, qu'importe ce qu'il avait bien pu faire.

-Désolé, fit-il simplement.

Peny resta figée encore quelques secondes, les rouages de son cerveau fonctionnant à 100 à l'heure.
Bon. D'abord, il lui trébuchait dessus, puis elle lui trébuchait dessus, puis le frappait, et il la frappait presque? Selon l'expression et la réaction du beau jeune homme, il ne voulait peut-être rien lui faire... Mais pourquoi l'excuse?

La rouquine secoua la tête. Chaque demi-réponse en entrainait quatorze nouvelles. Elle baissa les bras et s'épousseta un peu avant d'enfin regarder l'homme.

-Pardon pour le coup... C'est juste que mon chapeau tombait et... La jeune fille se gifla mentalement, voilà qu'elle avait l'air d'une tarte! Note à sois-même, ne plus jamais s'endormir au milieu de nulle part! J-Je veux dire... Je... Hum... Je déteste le perdre... Parce que... Hum... P-Pour... Raisons personnelles...

Son chapeau...?

Roderick leva les yeux (Quoique «lever» ne soit peut-être pas le bon terme, compte tenu de sa différence de taille avec la rouquine...) pour observer le chapeau. Il fronça légèrement les sourcils. Ça y est, il était perdu.

Le jeune homme ne comprenait pas le rôle du chapeau dans toute cette histoire, ni la raison pour laquelle Peny s'excusait encore, ni pourquoi elle semblait si nerveuse. Finalement, il opta pour un sourire confus.

Avec un sourire, on ne peut pas se tromper, non?